Projet X a-t-il vraiment donné envie de tout casser au monde entier ?

Projet X a-t-il vraiment donné envie de tout casser au monde entier ?

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© Projet X

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Par Pauline Allione

Publié le

Douze ans plus tard, la soirée de Thomas Kub reste une référence indétrônable du milieu festif.

2012. Au cinéma ou pixellisé car téléchargé sur Cpasbien, les adolescent·e·s de l’époque découvrent Thomas Kub et ses deux potes, Costa et JB. Pas franchement populaires au lycée, les trois antihéros de Projet X organisent une fête démesurée qui vire à la catastrophe et les fait entrer dans l’Histoire. Très vite, le film fait l’effet d’une déferlante : il est commenté devant toutes les grilles de lycée, la BO avec “Pursuit of Happiness” remixé par Steve Aoki tourne dans tous les iPod et, surtout, les soirées d’inspiration Projet X font planer une menace de débauche destructrice un peu partout.

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Après la teuf, la prison

“Le Blue, la boîte du coin qui laissait même entrer les lycéen·ne·s mineur·e·s, avait organisé une soirée ‘Projet X’. Pour faire comme dans le film, ils avaient coulé une voiture dans la piscine à l’extérieur et il y avait un mec nain qui avait été embauché pour danser… Je me souviens de pas grand-chose d’autre, j’étais bourrée à fond”, remet plus ou moins Estelle, 28 ans. La soirée floue de l’ex-lycéenne est loin d’être un cas isolé, et le fantasme de la teuf la plus fracassante – littéralement – continue de donner lieu à des soirées “Projet X” qui terminent parfois dans la rubrique faits divers. En 2012, deux jeunes étaient condamnés à six mois de prison ferme pour avoir vandalisé une villa lors d’une teuf lancée sur les réseaux. La même année, à Haren, aux Pays-Bas, on comptait trente-quatre interpellations et vingt-neuf blessé·e·s chez une adolescente qui avait oublié de passer son événement en privé sur Facebook. En 2023, l’anniversaire d’une lycéenne dans le Val-de-Marne, pris d’assaut par une centaine de personnes, a donné lieu à l’ouverture d’une enquête pour vols et dégradations. Toujours, une même référence culturelle et inspirationnelle revient : Projet X. Le long-métrage de Nima Nourizadeh a-t-il vraiment donné envie au monde entier de tout casser ?

Pré-Projet X, il y a d’abord Corey Worthington. En 2008, l’adolescent australien organise une fête chez ses parents où se pointent finalement 500 personnes… Les autorités finissent par débarquer en hélicoptère et les dégâts matériels s’élèvent à 20 000 dollars australiens. À sa sortie, Projet X est donc accompagné de l’histoire de cet Australien de 16 ans, qui se fait fièrement appeler “Party Boy”. Plus largement, le film débarque à l’écran peu de temps après Skins, qui a déjà inspiré de nombreuses teufs qui mêlent sexe, drogues et régurgitations sur les murs. Sauf qu’en 2012, la série britannique perd en audience et touche à sa fin : Projet X ne révolutionne pas le genre, mais déploie au cinéma ce qui était plutôt réservé à la télévision grâce à la révolution Skins : l’ambiance fête, alcool, drogues, BO impeccable”, détaille Célia Sauvage, chercheuse en cinéma-audiovisuel et co-autrice de Les Teen Movies (2011). “À cette recette, le film tente un mélange innovant avec l’esthétique found footage : une caméra amateure, un adolescent qui filmerait de son propre point de vue.”

“Le film réussit son pari : nous faire devenir un membre de cette immense soirée”

La caméra amateure choisie par Nima Nourizadeh donne au film un certain réalisme, encore amplifié par les visages anonymes qui composent le casting, et permet une plus grande identification du jeune public. “Contrairement aux found footage comme Le Projet Blair Witch, Paranormal Activity, Cloverfield ou Chronicle, le film joue entièrement la carte du réalisme dans un contexte qui n’est ni du fantastique, ni de l’horreur. C’est là la clé du succès. Peu de films ont repris cette alliance innovante et le found footage est resté une propriété de l’horreur après Projet X, poursuit la chercheuse. Fortement identifiable dans la manière de capter les images, le film réunit aussi les ingrédients essentiels à un teen movie : sexe, expérimentations, défiance des autorités…

L’autorité parentale, souvent discrète, voire absente, dans les teen movies américains, n’échappe pas à la règle dans Projet X : les parents ne reviennent qu’à la fin du film et le père, certes mécontent que sa maison ne soit plus que cendres et que sa voiture touche le fond de la piscine, félicite discrètement son fils. Pas de grande leçon de morale, donc, mais plutôt un film immersif sur le milieu festif. “Le film réussit son pari : nous faire devenir un membre à part entière de cette immense soirée. Qu’importe ce que les personnages ont à nous raconter, le film ne fait pas semblant de construire un vrai discours. L’expérience adolescente, c’est aussi se débarrasser des conventions narratives pour ressentir à mille à l’heure la joie de faire tout ce que l’on veut, sans contrainte, sans rappel des règles. C’est un pur film de divertissement et de spectacle qui réussit son pari”, résume Célia Sauvage.

La légende Projet X

Bien sûr, les lycéen·ne·s n’ont pas attendu Projet X pour les teufs qui dérapent, les inconnu·e·s qui s’incrustent, le mobilier détruit et les expérimentations parfois douteuses. Le film ne fait que répondre à une envie de transgression particulièrement présente à l’adolescence, puisque, peu importe le registre cinématographique, les teen movies poursuivent l’objectif de retranscrire l’adolescence avec justesse. “La question de la démesure et de l’excès touche tous les âges et faire la fête est un élément essentiel de notre condition humaine, c’est essentiel et exutoire. Mais ça l’est d’autant plus pour les jeunes, puisque la transgression est au cœur de l’adolescence. Il y a une volonté d’expérimenter et de questionner l’ordre établi”, analyse Sophie Azpeitia, psychologue pour adolescent·e·s et adultes.

Que l’on se souvienne de la voiture coulée dans la piscine du Blue ou de l’intervention de la police anti-émeutes à Haren, ces soirées participent aussi à renforcer le storytelling qui a enrobé le film dès sa sortie, en commençant par l’histoire de “Party Boy”. “Après la sortie du film, la promotion a largement surfé sur l’effet de mimétisme et des soirées qui se seraient organisées sur le modèle du film, mais très à la marge a priori. Ce flou entre fiction et réalité a souvent fait la force des films jouant de fausses images amateures”, rappelle Célia Sauvage. Dans une vie post-Projet X, toutes les soirées incluant un domicile – de préférence familial – et un surplus d’ados au mètre carré ont peu ou prou été qualifiées de “soirées Projet X”, que ce soit par les organisateur·rice·s ou par les médias, qui ont continué de grossir la légende initiée par le film. Projet X n’a évidemment pas inventé les soirées qui détruisent tout sur leur passage ni la défiance de l’autorité et la quête d’expérimentation adolescentes, mais il a réussi à apposer son étiquette dessus et à les intégrer à une narration, initialement marketing, devenue culte de la pop culture. La tagline du film l’avait annoncé : “Une nuit pour entrer dans la légende”.